Les pesticides affectent notre santé à tous, mais surtout celle de ceux qui les manipulent. S’ils sont utilisés pour éliminer les insectes ravageurs de cultures, les champignons ou les mauvaises herbes, ils tuent bien plus largement la vie sauvage et se diffusent dans l’atmosphère, les sols et l’eau.
Le 19 avril dernier, la locale Ecolo invitait deux experts pour nous éclairer sur le sujet : le Professeur Bruno Schiffers, responsable depuis 2004 du laboratoire de phytopharmacie de Gembloux Agro-Bio Tech (ULg) et une représentante de Nature et Progrès, Catherine Buysens. Voici le compte-rendu de cette soirée, qui ne reflète toutefois pas de façon complète la position d’Ecolo sur la nécessaire réorientation du modèle agricole et alimentaire.
Comment en sommes-nous arrivés là ?
En 2018, les pesticides sont utilisés dans la plupart des cultures agricoles des pays industrialisés. Ils représentent un marché gigantesque de 40 milliards de dollars par an. On estime que l’équivalent de 1000 € de pesticides sont épandus chaque seconde dans le monde. Et cela comprend des milliers de produits et de substances différentes. En Belgique, cela représente une quantité de 8 à 9000 tonnes par an !
Historiquement, tout est parti d’une situation de pénurie alimentaire en Europe à la fin de la seconde guerre mondiale et les gouvernements ont alors encouragé une agriculture intensive basée sur la mécanisation et l’utilisation massive de produits chimiques destinés à éradiquer les maladies des plantes ainsi que leurs concurrentes sauvages. Objectif : atteindre une productivité très élevée à l’hectare, avec peu de main d’œuvre.
Même dans les jardins, le marketing nous a formatés pour éliminer « les mauvaises herbes » à coup de pulvérisations, tant ce « nettoyage » était présenté comme le devoir du jardinier.
C’était sans compter les coûts cachés qui pèsent aujourd’hui sur la collectivité comme la pollution de l’eau, l’appauvrissement des sols en humus, l’érosion qui s’en suit et les enjeux de santé publique qui commencent enfin à être documentés.
Quels effets sur notre santé ?
Les pesticides affectent notre santé à tous. Mais ils sont particulièrement nocifs pour ceux qui les manipulent. Aussi bien les agriculteurs, les professionnels du jardinage, que les particuliers qui utilisent des produits désherbants…
Depuis peu, des études épidémiologiques démontrent que certains cancers sont beaucoup plus fréquents chez les agriculteurs (myélomes, Hodgkin, mélanome…) et la maladie de Parkinson est reconnue en France comme une maladie professionnelle liée à l’exposition aux pesticides.
Côté consommateurs, nous sommes exposés aux pesticides par la voie alimentaire (les résidus dans les aliments et l’eau) et par la voie respiratoire. En effet, les épandages peuvent nous toucher directement s’ils sont faits aux alentours de nos habitations ou lieux de vie. Les produits entrent même dans nos maisons, par nos chaussures par exemple !
Or, nous observons des phénomènes inquiétants de santé publique : baisse de la fertilité, augmentation importante de la maladie de Parkinson et d’Alzheimer… De nombreuses études montrent un lien avec l’exposition aux produits chimiques dans notre environnement.
Une étude européenne EXIPOL a même chiffré le coût pour la santé d’un kilo de pesticides : il se situe entre 25 et 29 €/kg. En Wallonie, le coût des impacts des pesticides sur la santé a été estimé par la même étude à vingt millions d’euros par an.
Quels effets sur l’environnement ?
Utilisés pour éliminer les insectes ravageurs de cultures, les champignons ou les « mauvaises herbes », les pesticides tuent bien plus largement la vie sauvage et se diffusent dans l’atmosphère, les sols et l’eau.
Les plus dangereux comme les fameux organochlorés ont été interdits en Europe mais ne le sont pas toujours ailleurs. Leurs effets sur la reproduction des oiseaux a été démontrée il y a bien longtemps.
Les nappes phréatiques sont affectées. Les sociétés de distribution doivent d’ailleurs de plus en plus financer la dépollution des eaux souterraines.
Au passage, ils détruisent l’humus qui est essentiel pour la fertilité à long terme des sols.
Le Panel International pour la Biodiversité et les Services éco-systémiques a encore rappelé au mois de mars dernier la perte de biodiversité liée aux pratiques agricoles (grandes parcelles et pulvérisations toxiques) . Les espèces les plus menacées des oiseaux sont celles qui habitaient les plaines agricoles.
L’interdiction des néonicotinoïdes récemment décidée par l’Union européenne est la reconnaissance tardive mais effective des dégâts que provoquaient ces insecticides systémiques sur les populations d’insectes pollinisateurs.
Indéniablement, nous devons changer de modèle sous peine de catastrophe environnementale et sanitaire.
Mais peut-on nourrir l’humanité sans pesticides ?
Il est clair que jusqu’à présent, l’agriculture chimique a pu bénéficier de très hauts rendements, mais ceux-ci se tassent et l’agriculture « bio » au contraire voit ses rendements augmenter avec les progrès dans le choix des variétés et des pratiques culturales affinées.
De plus, on peut se demander si l’agriculture en Belgique ou en Wallonie doit continuer à produire 7,2 fois ses besoins alimentaires ! Ce chiffre, fourni par le professeur Schiffers, démontre que notre agriculture est tournée vers l’exportation et vers des circuits longs alors que les circuits plus courts sont aujourd’hui considérés comme moins polluants et plus sûrs pour le consommateur.
D’autant qu’en Wallonie, nous ne produisons que 7 % de blé panifiable (pouvant être transformé en pain), tout le reste étant destiné à la nourriture du bétail. Quant à notre viande, elle est aussi vouée en grande partie à l’exportation.
D’après le Professeur Schiffers, le bilan est sans appel : le modèle de production actuel nous conduit dans une impasse multiple : économique (des prix bas pour les producteurs, dépendance envers les sociétés multinationales), sociale (suicides des producteurs, exode rural qui continue), écologique, sanitaire (effets sur la santé) et agronomique (comme par exemple l’arrivée des OGM tolérantes aux herbicides).
Quelles alternatives ?
L’agriculture « bio » a maintenant fait ses preuves et démontre qu’on peut produire sans pesticides.
Dans une nouvelle logique, il s’agit de se tourner vers une meilleure qualité sanitaire et un régime nutritionnel plus sain (moins de viande, plus de protéines végétales…). Il est probable que les prix des denrées alimentaires seraient plus élevés. Mais cela serait compensé par une baisse des coûts de la santé. En outre, on pourrait soutenir politiquement cette transition. Ecolo propose d’ailleurs depuis longtemps des avantages fiscaux pour les produits bios.
Ce choix ne serait pas défavorable aux pays en développement qui retrouveraient ainsi un marché pour leurs produits locaux et une plus grande souveraineté alimentaire.
Même si ses rendements sont un peu moins élevés, une agriculture sans pesticides aurait aussi le mérite de sauvegarder la qualité des sols : leur taux de matière organique est essentiel pour leur fertilité mais aussi pour absorber le carbone et contribuer à la diminution de nos émissions de gaz à effet de serre.
Nous avons pu, durant cette soirée d’avril, apprendre qu’il existe des alternatives crédibles et utilisables aujourd’hui à ce modèle agro-industriel. Catherine Buysens nous a expliqué celles que Nature et Progrès développe pour l’agriculture et pour nos jardins..
Ces nouvelles pratiques vivent de plus en plus, dans nos pâturages wallons et dans nos jardins ; 10 % des exploitations sont passées en Bio en Région wallonne, mais cela concerne surtout les éleveurs en prairie. En grandes cultures, le changement à obtenir est plus difficile, nécessite des formations mais aussi de nouvelles recherches scientifiques.
Nous les soutiendrons tant que possible dans notre commune en entamant un dialogue avec les agriculteurs et en soutenant les nouveaux producteurs d’aliments en circuits courts, porteurs d’un nouveau modèle, plus sain pour l’homme et pour la planète.